Assagaru anuwan

Niger

Assagaru anuwan : le point d’attache, c’est le puits (proverbe touareg).

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Pêcheurs sur le fleuve Niger

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Dans les monts Bagzane, point culminant de l’Aïr

Après quelques mois passés en Mauritanie, lorsque nous étions étudiants dans le domaine de l’eau, nous souhaitions alors retourner dans le Sahara. C’est en 2002,  via l’intermédiaire de l’association Hydraulique Sans Frontières, que nous découvrions MASNAT, association humanitaire de formation, d’aide à la santé et de développement de la région de l’Azawagh au Niger.

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La mosquée d’Agadez

 

Cette association nous conquis immédiatement, de par son fonctionnement bi-latéral, et de par la diversité des thématiques abordées : en effet, MASNAT regroupe un bureau en France et une antenne au Niger (à Abalak), pilotée par Ibrahim Mohamed, ancien guide saharien renommé, touareg de l’Azawagh, connaissant exactement les besoins de son peuple en phase de sédentarisation, et garant de la réalisation des projets portés par les populations locales.

carte Niger

Source : site MASNAT

 

Mais c’est également la personnalité unique de ceux qui œuvraient en France, qui nous permit de nous attacher, à notre mesure, à une petite partie de cette belle aventure, et notamment Jean et Maria Burner. Connaissant l’Afrique sur le bout des doigts, résidant à l’époque au Niger plusieurs mois par an, Jean a une passion immense pour la culture touarègue, apportant aux projets de développements locaux, cette part d’humanisme, de compréhension des peuples, et de synergie technico-culturelle si essentielle. Aller chez eux et discuter des projets en cours est toujours une immense bouffée d’oxygène !

L’association regroupait alors de nombreux membres, tous amoureux du désert, et partant régulièrement en treks, randonnées chamelières ou méharées, accompagnés par Ibrahim ou des membres de son entourage. Ibrahim fut réfugié pendant quelques années en France à l’époque de la rébellion touarègue contre le régime en place (et le massacre ethnique à l’encontre des touarègues qui s’ensuivit dans les années 1990). Il fut alors accueilli notamment par les Bernezat (guide de Haute-Montagne français), et se mit à travailler comme accompagnateur en montagne et aide-gardien de refuge en Haute Maurienne. Une fois la paix revenue, il repris son métier de guide saharien, chez lui au Niger, et fut secondé dans son auberge à Agadez, par les gardiens de refuge français, qui devenaient à leur tour aide-gardien au Niger. Un effet de miroir, enrichissant pour tous !

Porteur de MASNAT au Niger, et homme hyper-actif, Ibrahim s’investit au quotidien pour l’amélioration des conditions de vie de son peuple.

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Ibrahim et sa famille, lors de l’AG de Masnat aux Saisies, en 2005

MASNAT s’attachait alors à intervenir au plus près des nouveaux lieux de sédentarisation des nomades, accélérée par les sécheresses à répétition qui décimaient régulièrement les troupeaux. C’est ainsi que furent créés dispensaires médicaux , écoles,  centres de formation, afin que les nomades n’aillent pas grossir les bidonvilles des grandes villes. La place primordiale des femmes dans la société touarègue contribua à une volonté forte de mettre en place des centres de formation des femmes, des coopératives commerciales, notamment de couture…  Et plus récemment, de magnifiques réalisations comme La Ferme de l’Espoir qui permet de commercialiser laits et fromages de lait de vaches et de chamelles.  Une première pour ces éleveurs nomades, qui complétaient jusqu’alors la faible production laitière de leurs bêtes par l’achat de lait en poudre importé…

La question de l’accès à la ressource en eau est un véritable enjeu de ces régions désertiques, en particulier pour les éleveurs et leurs troupeaux, totalement dépendants des points d’eau durant leurs transhumances.

En effet, après la saison des pluies en juillet-aoûtt, et une fois les marres asséchées, l’eau n’est disponible que dans les profondeurs. A mesure que les mares s’assèchent, des puits sont creusés, de quelques mètres, afin de capter l’eau infiltrée qui est restée piégée dans les nappes superficielles. Puis vient alors la période de « soudure », au cours de laquelle l’eau des nappes superficielles disparaît complètement. Reste alors l’eau des nappes fossiles profondes, très profondes, souvent à plus de 100 m sous la surface du sol…

La belle aventure du puits profond de Chin Fangalan

En 2002, nous partions alors au Niger, chez Ibrahim, afin de chercher avec lui une solution pour alimenter en eau les hommes et les bêtes durant la période de soudure. A cette époque, sur le site de Chin Fangalan, deux possibilités pouvaient s’envisager : la construction d’une retenue collinaire permettant de concentrer les eaux de pluies, et de les conserver le plus longtemps possible ; ou la construction d’un puits profond, permettant d’atteindre la nappe fossile. La première solution fut rapidement écartée en raison de la topographie défavorable des sites, et de la forte évaporation. Seb, en tant qu’hydrogéologue, étudia alors la faisabilité du puits, et arriva à la conclusion que l’eau devait être présente à 120-130 m de profondeur. La contrainte essentielle de cette réalisation était liée à la très grande profondeur de fonçage. Pour le creusement d’un puits réalisé « à la main », les problèmes de sécurité ne doivent pas être sous-estimés. Même si à proximité d’Abalak un puits traditionnel de 142 m de profondeur, creusé à la main, a été répertorié, il constitue un record au Niger (et probablement pour l’ensemble de l’Afrique). Malgré les incertitudes et les difficultés attendues, Jean et Ibrahim crurent au projet, et voulurent tenter l’expérience !

Le creusement du puits démarra fin septembre 2003. Ce creusement, réalisé à la main par une tribu de puisatiers, d’une profondeur « historique » pour la région (aucun puits profond dans un rayon de 20 km ) dura 18 mois. A 113 m de profondeur, les hommes rencontrèrent un horizon de grès très dur, que les outils traditionnels ne permettaient pas de creuser. Un doute s’installa : et si l’eau n’était pas là ? Un perforateur fut descendu au fond du puits, et les 80 cm de terrain induré furent franchit. L’eau apparut à 124 m de profondeur, alors que l’étude avait prédit que l’eau devait être entre 120 et 130 m de profondeur ! Ce fut une victoire extraordinaire.

Depuis, grâce aux informations collectées et actualisées, à l’établissement d’une « carte des puits » (issue d’une carte piézométrique détaillée), plusieurs puits profonds ont vu le jour, l’eau étant toujours rencontrée à la profondeur estimée (aux incertitudes près du terrain). Dans ces zones très peu pourvues en puits profonds, l’estimation précise (à 5-10 m près) de la profondeur des eaux souterraines est difficilement compréhensible par les populations locales, et confère un côté « magique » à ce genre d’étude hydrogéologique.

Pendant plusieurs années, le puisage a été réalisé traditionnellement, à l’aide de poulies et de cordes tirées par des animaux.Depuis, le pompage de certains puits a été mécanisé (pompe électrique avec groupe électrogène, et maintenant solaire) à la demande des femmes, afin de leur libérer du temps, mais restent toujours accessibles en cas de panne des pompes, contrairement aux forages.

Nous nous étions promis de retourner un jour au Niger, avec nos enfants. Mais les soubressauts du monde, les coups d’états, le terrorisme et AQMI ont eu raison de notre projet. Aucun français de l’association MASNAT n’est retourné au Niger depuis plusieurs années…

Pourtant MASNAT existe toujours ! Les Assemblées Générales sont toujours des moments très conviviaux où se retrouvent français et nigériens. Nos enfants y ont participé dès tout petits !

En 2016, nous fêterons les 20 ans de l’association, à Venon (38). Les départs de treks lointains étant devenus impossibles, le nombre d’adhérents a diminué ces dernières années. Et pourtant, c’est aujourd’hui, alors que nous-mêmes européens, ne pouvons plus aller sur place aussi facilement, que les populations locales qui aspirent à vivre en paix, ont besoin de soutien. Les revenus liés au tourisme ayant totalement disparus de ces régions, il est essentiel d’être à l’écoute  de leurs projets (car d’excellents idées, ils en ont à la pelle !) et de les aider à les concrétiser. Alors que le terrorisme et l’islamisme radical gangrène ces régions, sur fond de misère sociale, il faut à tous prix leur permettre de poursuivre le développement qu’ils souhaitent, afin de préserver leur culture unique. Lorsque les hommes mangent à leur faim, ont accès aux soins, à l’éducation et à la culture, ils sont un rempart au fanatisme.

Éloignez vos tentes, rapprochez vos cœurs. (proverbe touareg de l’Azawagh)

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Comme le dit le proverbe ci-dessus, nos tentes sont bien éloignées entre le Niger et la France, et surement pour encore longtemps… mais nous pouvons encore être proches d’eux !

Pour ne pas oublier cette culture touarègue millénaire qui nous a tant fascinés en Europe, pour les aider au quotidien, plusieurs livres de mémoire sont parus, dont l’intégralité des bénéfices sont reversés à MASNAT :

  • Le remarquable livre de Jean sur les « Bijoux touaregs », leur histoire et leur signification, superbement illustré et soutenu par les plus grands musées d’ethnographie,
  • La « Parole touarègue » permettant d’inscrire durablement une tradition orale séculaire, faite de contes, de proverbes et de maximes.

Ces ouvrages forment de beaux cadeaux à offrir, alors n’hésitez pas à les commander en cette période de fin d’année !

En 2016, devraient paraître 2 nouveaux livres dans la collection Masnat :

  • un livre sur l’élevage et ses mutations dans le Sahel, ainsi que sur la formidable aventure de la Ferme de l’Espoir,
  • un livre sur l’Eau au Sahel, pour lequel travaille Seb, avec l’appui inestimable de Jean et Ibrahim. A suivre…

En attendant de pouvoir y retourner un jour, voici quelques souvenirs d’une randonnée chamelière d’une semaine, dans les monts Bagzane, point culminant de l’Air  :

 

 

2 réflexions sur “Assagaru anuwan

    • Bonjour,
      Merci pour ton lien, toujours intéressant en terme de « tourisme solidaire ». Le problème au Niger, c’est que le tourisme (solidaire ou non) est totalement impossible depuis 2010, en raison du risque terroriste très élevé (attaques, attentats, prise d’otages…) venant des pays limitrophes (Nigéria et Mali, bientôt Libye ?). Mais à toute chose malheur est bon, puisque l’économie développée localement depuis quelques années dans l’Azawagh, s’affranchissant du tourisme, s’est bâtie sur des bases solides et durables. Mais la situation reste compliquée. Le financement des actions de l’association provient de différentes sources et partenariats (notamment une grosse part de vente de bijoux touaregs), mais reste toujours insuffisant !

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