…ou comment vandaliser un bien du patrimoine historique et artistique du Vercors*.
10 mars 2021
Par Seb.

Sculpture en bas-relief (Cliché : Seb. Langlais – 5/5/2018)
* Petite explication concernant le titre de cet article : les Voconces formaient un peuple gaulois des Préalpes, s’étendant du Vercors au Ventoux. Les Vandales étaient quant à eux associés aux territoires de la Pologne actuelle. Le qualificatif vandale a une connotation de terreur, de destruction aveugle, de pillage, de saccage. Le titre ne fait pas référence à la période gallo-romaine mais à l’acte barbare.
Un petit article sous forme de coup de gueule. Contre l’imbécilité et l’ignorance.
Entre Saint-Nizier-du-Moucherotte et Lans-en-Vercors, en 2017, au gré de balades de proximité, j’avais « découvert », par hasard, un visage de femme sculptée dans la roche. J’avais mené quelques recherches sur internet, rien. Puis en avais parlé à un ami historien et spécialiste de la Résistance, qui ne connaissait pas non plus. Je lui avais alors proposé d’aller la voir ensemble, puis le temps a passé.
Fin novembre 2020, on en reparle, et on y va enfin… C’était au cours d’une fameuse sortie « confinement – 1h/1 km ». Et là, patatras, la sculpture n’est plus ! Le rocher a subi une ablation ! A la place de l’œuvre, une dépression. À son pied, des fragments de grès. La falaise a été décapitée. Elle a perdu son âme. Du vandalisme abject… Un sentiment bizarre m’envahit, l’impression d’avoir perdu « un être cher », que je venais voir de temps en temps…


La sculpture de la tête féminine : à gauche (en mai 2018), à droite après son vol par extraction (25/11/2020).
Elle ressemblait à quoi cette sculpture ?
Dans ce site forestier, cette œuvre sculptée apparait sous forme d’un bas-relief sur un éperon saillant d’une falaise de grès (de molasse miocène) légèrement surplombante, et donc en partie protégée de l’érosion des pluies. D’une vingtaine de centimètres de haut (soit 10-20% plus petite que la taille réelle), cette sculpture présente sans équivoque le visage d’une femme (ou d’une jeune fille) aux traits fins et aux proportions particulièrement fidèles.
De quand date cette sculpture figurative ?
Personnellement, même si je ne suis ni archéologue, ni spécialiste de l’art rupestre, la patine – composée d’un biofilm verdâtre (mousse ?) – me laisse à penser que le façonnage de ce bas-relief remonte a minima à plusieurs dizaines d’années.
Qui a réalisé cette œuvre d’art ?
À quelques mètres de cette sculpture, un pan de grès comporte (i) de nombreuses inscriptions sous forme de graffitis, plus ou moins anciens, et (ii) au moins une gravure de croix de Lorraine. Ce dernier élément, associé à la patine de la sculpture, font éventuellement penser à un résistant, également artiste, qui aurait sculpté cette tête lors de la Seconde Guerre mondiale.

Croix de Lorraine, à proximité de la sculpture détruite
Quel est le mobile du « crime » ?
La sculpture semble avoir été extraite en réalisant, par martèlement, un détourage périphérique. Même si le bloc dans lequel a été sculptée la tête semble moins altéré que le bloc plus à droite (marqué par une altération à l’origine d’une « desquamation » de la roche), il est probable que la sculpture ait été brisée lors de son extraction. Plusieurs traces bleues, probablement de l’outil utilisé, persistent sur la roche.
Pendant longtemps ce site a été peu fréquenté même s’il est proche d’un grand axe de communication. Par contre, il semble que sa fréquentation ait sensiblement augmenté ces cinq dernières années, en lien avec la pratique de la cascade de glace. Même si le descriptif présent sur internet (CampToCamp) ne mentionne pas la sculpture, on peut penser que l’augmentation de la fréquentation a contribué à rendre plus vulnérable cette œuvre vis-à-vis d’un acte de malveillance. Plus globalement, on peut imaginer que cette œuvre ait été extraite pour être revendue ?
Certes ce ne sont pas les bouddhas de Bâmiyân (dynamités par les Talibans, en Afghanistan, le 11 mars 2001) , mais voir disparaître ce joli patrimoine du Vercors, est presque de l’ordre de la « profanation ».
Et pour rester dans l’actualité, ce mardi 10 mars 2021, afin de commémorer les 20 ans de la destruction de ce patrimoine mondial de l’humanité, un des bouddhas de Bâmiyân est réapparu pour quelques heures, en 3D !