Des terres du Bouddha à celles d’Allah

…. où nous franchissons notre troisième haut col du Pensi La (4440 m), où le bouddhisme laisse subitement place à l’islam, où la vallée de la Suru nous surprend par ses contrastes religieux.

Du 3 août au 7 août 2016

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Juldo (hameau de Rangdum), village bouddhiste, en amont de la vallée de la Suru

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Mosquée chiite vers Partigche, en aval de la vallée de la Suru

Mercredi 3 août 2016
Padum – pied du Pensi La (3950 m)

Nous sortons ce matin de Padum à l’aide d’un pick-up : la route en travaux et la poussière nous font abréger le début de l’étape. La montée vers le col du Pensi La est régulière, mais avec une succession de petites montées / descentes, sur une piste à la « roulabilité » très variable. Nous nous arrêtons ce soir au pied du col au niveau d’un campement de bergers avec des chevaux.

Alors que l’heure avancée nous fait hésiter quelques minutes pour monter un peu plus haut bivouaquer face aux gigantesques glaciers de Darang-Durung, un 4×4 venant de Kargil s’arrête à notre hauteur : il s’agit de Caroline Riegel qui en descend avec un grand sourire, accompagnée de deux des ses amis zanskarpas. Ils sont allés acheter des vitres à Kargil pour l’école en construction de la nonnerie de Tungri, et sur cette route très difficile, ils se relaient tous les 3 à l’arrière du véhicule, pour ne pas briser le précieux matériel !

Jeudi 4 août 
Pied du col sud (3950 m) –Pensi La (4440 m) – Pied du col nord / bord de la Suru (4000 m)
D+ : 530 m – D- : 500 m – 25 km

Nous attaquons les lacets de la montée du Pensi La, face au Darang-Durung, immense glacier de 23 km de long (représentant tout de même quatre fois la longueur de la Mer de Glace dans le Mont Blanc). Le glacier est dominé par un sommet répondant au nom poétique de Z3 (6300 m).

Un couple de français est en train de descendre le col, avec un guide ladakhi. Et… eux aussi, viennent de la région grenobloise ! Comme chaque fois, nous sommes réellement heureux de rencontrer des cyclos. Ils iront jusqu’à Padum, avant de reprendre la route en sens inverse jusqu’à Leh en 4×4.

Curiosités géologiques :

Nous nous arrêtons pour grignoter près des petits lacs du col. Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous ne sommes pas dérangés par le monde ces deux derniers jours !

Au loin, sur un bout de glacier, nous distinguons tout de même des militaires en exercices. Il faut dire que même si nous évoluons à vélo dans les zones bouddhistes calmes, le conflit opposant l’Inde et le Pakistan au sujet du Cachemire est profond, et ce depuis 1947 date des indépendances et de la partition. Cette région, revendiquée par les deux nations, mais également par la Chine, est au cœur d’un conflit qui s’est accentué dans les années 1990 provoquant la mort de 50 000 personnes depuis cette date, dans l’une des guerres les plus hautes en altitude de la planète.  Même si les tensions sont relativement retombées ces dernières années, entre ces trois puissances militaires nucléaires, les affrontements sont périodiques, en 2008, 2010, et depuis juillet 2016 aux alentours de Srinagar, provoquant plusieurs dizaines de morts et le blocage total de l’axe routier Srinagar – Leh durant quelques jours.

Puis c’est enfin la descente, très roulante sur cette première partie, qui nous conduit à notre site de bivouac, près de la rivière, entouré de chevaux.

Vendredi 5 août 
Pied du col nord / bord de la Suru (4000 m) – Lac de tourbière (3850 m)
D+ : 100 m – D- : 250 m – 30 km

La descente se poursuit encore aujourd’hui, pour atteindre le plateau de Rangdum, et son monastère isolé sur une bute au milieu de la plaine.

A Rangdum Gonpa, un officier procède aux contrôles de police habituels… mais à l’extérieur ! Absorbés par notre contemplation du paysage, nous ne le remarquons même pas et passons devant lui. Heureusement qu’il agite le bras et nous interpelle, car nous réalisons qu’en effet, il est indiqué sur un panneau qu’il s’agit bien d’un check-point !

Le village proprement dit de Rangdum, se situe plusieurs kilomètres en aval de la gonpa, et nous l’atteignons pour le repas du midi : il possède l’unique dhaba de la vallée, et quel plaisir de retrouver notre traditionnel dal-rice-chaï ! Nous commandons omelettes, chapatis et thalis à emporter. Le cuisinier nous met tout cela dans de grandes boites en plastiques hermétiques, ayant contenus les bonbons à vendre. Un grand merci à lui !

Rangdum marque le dernier village bouddhiste, et notre sortie de ce territoire dès le lendemain.

Ce soir nous sommes joueurs, et dormons sur notre petite île privée, au milieu d’un lac de tourbière. Le temps d’installer le camp, nous ne prenons pas la précaution de nous asperger d’anti-moustique, et nous sommes dévorés par ces charmantes bestioles, mais à cette altitude, pas de risque de paludisme !

Notre emplacement doit être minutieusement réfléchit, car lorsqu’une pression est appliquée sur les mottes d’herbes, l’eau remonte par capillarité, et nous ne souhaitons pas terminer la nuit les pieds mouillés !

Un couple suisse (encore 🙂 ), Dina et Christian, descend la vallée également, l’occasion d’échanger quelques impressions et nouvelles, avant qu’eux aussi aillent planter leur tente quelques kilomètres plus bas.

Samedi 6 août 
Lac de tourbière (3850 m) – Parkhachik (3700 m)
D+ : 250 m – D- : 400 m – 33 km

Tiens, pas de soleil aujourd’hui, mais un ciel gris qui va nous accompagner jusqu’à la pluie en mi-journée. Nous débutons sous les faces granitiques impressionnantes, sortes de big wall, avant d’être dominés par les sommets de plus de 7000 m du Nun et du Kun.

Après une petite remontée, c’est la traversée de 2 nallahs qui va occuper nos esprits : le premier est bien en eau mais sans courant fort, ce qui n’est pas le cas du second dans lequel Seb brise le timon de la carriole ! En fait, le timon était fragilisé depuis le matin, car Adélie voulant jouer avec Titouan, Seb avait alors accepté de les tracter tous les 2 malgré la piste assez cassante, et il avait entendu un bruit bizarre auquel il n’avait pas donné suite… Mais pas de panique, après un gros bricolage, nous retournons le timon afin qu’il soit bloqué dans l’attache plastique de la carriole, et nous délestons complètement la carriole de tout son chargement afin de la transporter à vide pour ne pas la solliciter : Adélie et Titouan sur la triplette, Gaspard récupère la tente sur ses sacoches, Seb les quelques bricoles qui restent et en avant !

Dans la descente, nous croisons une jeune française à vélo qui monte au Pensi La, Camille, (encore originaire de la région grenobloise !), accompagnée d’un ami anglais. Elle est partie de Grenoble à vélo et vient de fêter son premier anniversaire de voyage à Srinagar, il y a quelques jours.

Alors que le tonnerre gronde et que le vent se met à souffler de plus en plus fort, soulevant la poussière de la piste, nous nous quittons, puis enfilons nos affaires de pluie quelques kilomètres plus loin. Des petits bus d’écoliers nous doublent, en voyage scolaire sur 2 jours (nous les avions croisés dans l’autre sens la veille). Leurs tenues nous indiquent que nous sommes bien en zone musulmane, car les petites filles sont maintenant voilées. L’architecture change légèrement également : les maisons conservent leurs toits plats, mais n’arborent plus les sculptures en bois des linteaux, ni la façade blanchie des zones bouddhistes.

Puis c’est la casse définitive du timon, alors qu’il pleut des cordes : la carriole titube, puis se retourne, et enfin s’arrête net ! Nous stoppons la première voiture qui passe, et nous leur demandons de prendre en charge notre carriole : c’est ainsi qu’elle voyagera jusqu’à Leh, en faisant des pauses à Parkhachik et Sanku !

En arrivant à Parkhachik, à nouveau le tonnerre gronde, et nous cherchons la « Tourist Hut ». Les villageois, dont aucun ne parle anglais, nous indiquent d’un signe de la main le haut du village. Mais lorsque nous arrivons, une ribambelle d’enfants aux visages fermés nous observe, en se moquant. Nous insistons pour qu’on nous indique la « Tourist Hut », convaincu que dans un si petit village, tout le monde sait où se trouve cette guest-house gouvernementale. Mais pas de réponse. Nous ne sommes visiblement pas les bienvenus, et le contraste de cet accueil glacial par rapport à ce que nous avons connu ces dernières semaines, nous déroute un peu… Peu après un homme super sympa et parlant anglais nous indique très poliment, qu’elle se situe en bas du village ! Et hop, demi-tour sous la pluie.

Lorsque nous nous posons enfin, sous une pluie battante, nous sommes accueillis par un homme qui nous aide à transporter nos bagages à l’intérieur, et nous indique qu’il y a une autre famille voyageant à vélo installée à l’intérieur… avec le même tandem !!!!!!!!!!

Nous faisons alors la connaissance d’une famille néerlandaise, avec deux garçons de 9 et 10 ans, qui voyage en sens inverse du notre ! Ils ont également un tandem PINO et un vélo enfant, les deux garçons, aux gabarits similaires dû au faible écart d’âge, échangent leurs places au cours de la journée. Ils viennent de Leh, et resteront une journée de repos à Parkhachik, car leur aîné est malade.

Dimanche 7 août 
Parkhachik (3700 m) – Sanku (3000 m)
D+ : 200 m – D- : 900 m – 44 km

Une belle journée pluvieuse aujourd’hui : après toutes ces journées de grand beau temps, nous accueillons la pluie avec plaisir, c’est le changement qui nous plait !

En sortant de Parkhachik, un étonnant spectacle s’offre à nous en contrebas : un groupe de femmes réalise des exercices cadencés, que nous interprétons comme paramilitaires, dirigé par des hommes au timbre de voix plutôt martial… Nous n’en saurons pas plus, mais le spectacle est inhabituel pour nous.

Un peu plus loin, nous observons les restes d’une gigantesque avalanche, à travers de laquelle la Suru s’est frayée un cheminement.

Nous découvrons progressivement cette belle vallée de la Suru, à la nouvelle architecture. Lors du passage du village de Tongul, il semble qu’une assemblée vient de se tenir, et le village est entièrement occupé par une foule de plusieurs dizaines d’hommes. Pas une femme en vue. Nous passons rapidement, ne sachant s’il s’agit d’une manifestation ou autre. Mais, alors qu’un raidillon régulier permet de sortir du village, la triplette a la surprise de sentir … qu’on la pousse !!! En effet, plusieurs hommes se relaient pendant quelques minutes pour pousser et soulager Ariane, Adélie et Titouan dans cette montée sur la piste. Arrivée en haut de la côte, nous les remercions chaleureusement de leur geste que nous n’imaginions pas dans ce village, qui nous paraissait si austère !

Notre descente de la vallée, en rive gauche n’est pas des plus roulantes mais l’accueil dans les villages est plutôt sympathique. On nous avait décrit cette partie comme peu agréable, avec une population fermée, des jets de pierres, de la mendicité de la part des enfants… A part notre mésaventure de Parkhachik, et le malaise que nous avons ressenti, nous sommes agréablement surpris par l’accueil que nous recevons de partout dans la Suru, certes un peu plus distant qu’auparavant, mais jamais hostile.

Arrivés à Sanku, province chiite, les portraits de Khomeini sont omniprésents, et détonnent dans ce village vivant, joyeux et haut en couleur.

En raison des attentats en Europe, des événements de Srinagar, de notre présence relativement vulnérable à vélo avec nos enfants, des conseils que nous avaient donnés de nombreux voyageurs croisés en route, nous avions décidé avant d’entamer la descente de la vallée de la Suru, de ne pas entrer à Kargil à vélo, et de stopper 40 km en amont. Prudence inutile, certainement, mais ce fut notre choix à cet instant…

Nous rejoignons en pick-up les zones bouddhistes, puis la ville de Leh, depuis Sanku, dès le lendemain matin, terminant ainsi pour cette année, notre périple à vélo !

Mais le voyage continue encore un peu… 🙂

 

6 réflexions sur “Des terres du Bouddha à celles d’Allah

  1. Ouch, le timon 😨 Heureusement vous avez pu trouver des solutions qui ne vous ont pas fait perdre de temps ! C’est toujours aussi beau de vous voir pédaler dans ces montagnes impressionnantes.

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    • Merci pour vos petits mots auxquels nous n’avons pas toujours pu répondre en raison des grosses difficultés de « blogger » en Inde du Nord !
      Et oui, malgré toutes les éventuelles casses que nous avions anticipées (et pour lesquelles nous avions tout prévu pour réparer), celle-ci ne nous paraissait pas la plus probable ! L’avantage, c’est qu’on devient adaptable lorsqu’on voyage à vélo, et nous avons trouvé une solution en moins de 10 min sous la pluie !! Cette carriole a été ramenée à Leh, puis échangée, et sera réparée afin d’être bientôt proposée en location : ce sera probablement l’une des premières carrioles d’enfant disponible au Ladakh !
      Ariane et Seb

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  2. Salut les amis!
    Quel magnifique blog vous avez ! Les photos sont superbes !
    Vous nous avez beaucoup impressionnés! Nous avons adoré passer quelques jours en votre compagnie!
    A bientôt dans nos contrées !
    Jessica et Stéphane (jessicag@netplus.ch)

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    • Coucou les copains !
      Merci pour votre commentaire, alors vous êtes bien rentrés dans vos belles montagnes suisses ? Encore un grand merci de nous avoir accompagnés durant ces quelques jours qui resteront de très bons souvenirs également pour les enfants !
      Et nous envisageons un petit tour (sans les enfants) vers chez vous, on vous tient au courant !
      Bises à vous deux,
      Ariane et Seb

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  3. Je m’excuse pour mon français, ça fait plus de dix ans que je l’avais étudié a l’école, mais je voudrais vous dire que vous êtes la famille la plus extraordinaire que j’avais li! Je pense que vos enfants vont grandir splendidement en faisant ces voyages, et ils vont avoir beaucoup plus d’experiences e de connaissance que les autres jeunes de la meme age qui pourrait aller chaque année en vacances a Cannes our a Biarritz!

    Bravo

    Fabrizio

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