[Ski en Iran] #1 – Bienvenue au pays des mollahs

Du 18 au 20/02/2017

Premiers pas en Iran. Isfahan, la « moitié du monde ».

Pour cette série d’articles, afin que chacun de nous deux puisse retranscrire au mieux ses impressions face à ce pays hors normes, nous utiliserons les codes couleur suivants en fonction des narrateurs : Ariane en noir (couleur du hijab), Seb en bleu (couleur des mosquées) ! Place aux femmes pour ce premier billet !

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Aéroport d’Isphahan : sous le regard des Guides Suprêmes, le Guide actuel Khamenei (à gauche), et l’ayatollah Khomeini père de la révolution islamique de 1979 (à droite)

3h10. Aéroport d’Ispahan. Le Boeing 737 atterrit en douceur dans la nuit.  Je me retourne discrètement sur mon siège et scrute avec attention les autres femmes de l’avion, principalement des ressortissantes iraniennes. Aucune ne porte le voile. Alors que les voyants des ceintures s’éteignent et que l’avion s’immobilise sur le tarmac, subitement chacune couvre ses cheveux d’un geste parfaitement maitrisé. C’est certain, je ne suis pas face à des conservatrices, puisque quelques mèches de cheveux dépassent savamment du voile, au dessus du front. C’est mon « top départ », à partir de cet instant, et durant tout notre séjour, je suivrai le mouvement général, en revêtant mon foulard dans l’espace public, élément vestimentaire obligatoire imposé par la loi de la République Islamique d’Iran.

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Aéroport d’Isphahan – Entrée des femmes, et entrée des hommes

Mais que venons-nous faire ici en plein mois de février ?

Du ski !

Oui, du ski de rando dans les Zagros, au sud du pays, à peu près à la latitude du Caire en Egypte, ou encore d’Agadir au Maroc ! Et pourtant l’enneigement du massif est conséquent.

Nous serons 3 pour cette petite virée : Rémi, Seb et moi. Nous aurions préféré être un peu plus nombreux, pour des raisons de sécurité en raid à ski, mais difficile de motiver les copains pour cette destination atypique : même si beaucoup étaient très intéressés, au moment de prendre le billet d’avion, la décision fut plus compliquée à prendre pour certains ! Et pourtant… ce séjour en Iran nous a profondément marqué, avec l’envie irrésistible d’y revenir rapidement : une expérience humaine extraordinaire, assortie d’explorations de ces montagnes du Déna peu parcourues où l’Aventure prend ici tout son sens, sans que les prises de risques soient inconsidérées.

Mais revenons au commencement. Dans cette nuit fraiche de février, alors que nous atteignons l’aéroport en bus depuis l’avion, les iraniens terminent de passer la douane, et l’aéroport se vide rapidement. Seule une dizaine de « touristes » comme nous attend devant le guichet « Visa » pour obtenir le droit d’entrée en Iran. Principalement des touristes français. Et à notre étonnement, des skieurs également !

Depuis peu, l’obtention du VISA iranien est facilitée : plus besoin de passer par l’ambassade d’Iran à Paris, il peut être obtenu directement dans les aéroports (On arrival) des principales grandes villes. Il suffit de présenter son passeport, une attestation d’assurance mentionnant bien la destination « Iran », et 75 euros. Pas besoin de photos d’identité, ni de relevé d’empreintes digitales. Il faut également justifier d’une adresse (réservation préalable d’un hôtel par exemple). Ce VISA de tourisme est valable 30 jours (contre 15 jours jusqu’à l’an dernier). Pas de bol pour Rémi : son attestation d’assurance ne mentionne pas spécifiquement le pays « Iran », il est quitte pour en reprendre une sur place pour la « modique » somme de 15 €…

Depuis janvier 2016, les ressortissants européens qui se sont rendus depuis 2011 en Iran, doivent entrer sur le territoire des Etats-Unis avec un visa américain, très cher… ou un nouveau passeport. Devant nous, un des français qui prévoit de se rendre dans quelques mois aux USA, demande alors que son VISA lui soit délivré sur une « feuille volante », afin que son passeport ne soit pas pénalisé ! Et contre toute attente, sa demande est acceptée ! Les deux employés aux VISA sont d’une remarquable courtoisie, et parlent parfaitement le français. De notre côté, n’ayant pas prévu d’aller faire un petit coucou à Trump très prochainement, nous n’osons pas leur faire la même demande…

Alors qu’un taxi jaune nous amène au centre d’Ispahan, le chauffeur, souriant et prévenant vis-à-vis de notre matériel, est intrigué par notre choix de séjour dans son pays, notamment pour faire du quoi ? Du… ski ?!

Premières impressions de ce pays qui interroge l’Occident, alors que défile l’autoroute sous nos yeux : les véhicules sont majoritairement des « Peugeot 405 » , souvent renommées pour le marché local en « Peugeot Pars » , ou encore « Samand » (qui signifie cheval), cousine germaine de la 405 fabriquée localement, et dont le logo du cheval (mythologie perse) a remplacé le lion.

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Sur les poteaux d’éclairages routiers, dans le terre-plein central, s’alignent dans la nuit les portraits des martyrs de la guerre Iran-Irak, qui a fait plus d’un million de morts au total. Alors qu’en France nous égrenons les noms de nos soldats morts aux combats durant les deux guerres mondiales, sur les monuments aux morts de nos communes, ici ce sont carrément des photos géantes, de la taille de panneaux publicitaires, qui défilent sous nos yeux. Nous le verrons les jours suivants, c’est une constante sur toutes les routes du pays.

Arrivés à bon port, il nous faut tambouriner un moment à la porte de l’hôtel pour que le gardien endormi nous ouvre : « Iran Hôtel », une très bonne adresse dénichée par Seb, en plein centre ville et au personnel efficace, qui sera d’une aide précieuse pour organiser nos prochains déplacements.

A midi nous émergeons de notre courte nuit, prêts à découvrir Isphahan, ancienne capitale de l’empire perse, dénommée « la moitié du monde ». Rien que ça !

Alors que nous descendons les escaliers de l’hôtel, dans le hall d’entrée, l’hôtesse marque un temps d’arrêt, s’immobilise, me regarde bouche grande ouverte, puis se fige. Il me faut moins d’une seconde pour comprendre que quelques chose cloche, un truc grave surement……….. mer…………………. mon FOULARD !!!!! J’ai oublié mon foulard !!! Comment est-ce possible ?! Et Seb et Rémi, qui n’ont rien remarqué non plus ! Je remonte quatre à quatre, enfile vite mon précieux couvre-chef pour cacher la nudité de ma tête, et redescend. L’hôtesse me regarde à nouveau derrière son comptoir, et alors que j’esquisse un sourire, elle détourne la tête : non assurément, on ne rigole pas avec cela ici.

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Poster pour une campagne en faveur du hijab : sans protection (voile), la flamme de la femme s’éteint !

Les 10 min de marche qui nous conduisent au centre de la ville impriment rapidement le climat des relations du peuple iranien avec nous, qui va être une constante : des sourires, on nous salue, on nous serre la main (pas moi, hein, faut pas exagérer ! Juste les gars ! Mais on m’ignore rarement non plus, et si le serrage de main est proscrit entre hommes et femmes, le sourire est toujours là), on nous demande d’où nous venons, et invariablement on nous souhaite « Bienvenue en Iran ». Souvent le passant continue son chemin. Parfois les yeux de nos interlocuteurs brillent en apprenant que nous sommes français. Parfois aussi, ils nous parlent alors en français, révélant une très grande culture de notre pays. En quelques instants, nous pouvons aborder la politique française, la littérature, la musique, sans oublier le foot… Puis invariablement cette question « Et que pensez-vous des iraniens ? ». Un leitmotiv.

Et par cette journée ensoleillée, quelques heures après avoir posé le pied en Iran, nous ne savons pas vraiment quoi penser. Nos médias véhiculent une image très sombre du pays des ayatollahs, et la réalité de la vie des iraniens n’est pas des plus joyeuse, c’est un fait. Mais ici, en quelques échanges, nous découvrons un peuple fier de sa culture, soucieux de son image, cultivé, curieux, courtois, attiré par l’Autre que nous sommes, prêt à nous rendre mille services sans jamais être intrusif non plus.

C’est l’hiver à Isphahan, et le froid est glacial. Aucun touriste en vue sur la magnifique place de l’Iman. Nous nous régalons de mosquées, de palais et de mosaïques aux tons de bleus. Un homme nous fait faire gracieusement la visite de la mosquée de l’Imam, nous dévoilant les secrets des restaurations en cours. Puis un mollah se joint à lui, en nous offrant du thé et des sucreries au sésame. En échange, il nous demandera à demi-mot si nous avons des pièces en euros, pour sa « collection », une manière élégante de lui rétribuer cette belle visite.

Puis nous croisons Ali. Ali c’est LA rencontre de la place de l’Imam. Il est assis devant le mosquée de Lotfollah, et grignote pistaches et riz soufflé, son vélo à ses pieds. A notre vue, il nous interpelle :

–   Bonjour, vous êtes français n’est-ce pas ? Auriez-vous quelques minutes pour que nous discutions ?

Et la discussion s’engage. Ali a 65 ans, c’est un professeur de géologie à la retraite. Il connaît bien la France, pour y avoir étudié avant la révolution islamique. Et il a fait sa thèse à l’institut Dolomieu de Grenoble ! Son français est remarquable. Après un moment, il nous propose de le rejoindre ce soir pour assister à un « spectacle » à la zurkhaneh, la maison de la force. Il s’agit du sport national iranien, le Varzesh-e Pahlavani, d’origine pré-islamique.

A l’heure dite, nous retrouvons Ali en bas de notre hôtel, poussant son vélo. Il a réussi a dégoter un autre couple de touristes français, la soirée s’annonce plutôt bonne pour lui, qui arrondit sa retraite de professeur en s’improvisant guide culturel dans sa ville natale ! Nous voilà traversant Isphahan à pied, tandis qu’il nous décrit son pays, les évolutions politiques, les futures élections du mois de mai, etc…

L’entrée à la zurkhaneh annonce olfactivement la teneur de la soirée : ça sent la sueur, et nous sommes là pour voir des hommes, des vrais ! Dans une fosse octogonale, entourée de gradins, se déroule un entrainement populaire mêlant des jeunes, des vieux, des musclés, des bedonnants, tout cela au rythme des chants et du roulement de tambours des entraineurs-musiciens dans une tribune surélevée. Durant une heure, nous découvrons la succession des exercices de force (massue, arc métallique…), souplesse, et « derviches tourneurs ». Je suis même très étonnée qu’une femme puisse assister à ce spectacle de muscles saillants ! Oui, il faut être logique : si les hommes sont interdits des salles d’aérobic de ces dames sous prétexte que Satan va leur  jouer un sale coup, pourquoi les femmes devraient être par nature insensibles à toute cette testostérone (bon, oui, dans les faits, vu l’odeur, elles le sont, insensibles, mais ce n’est pas une raison…) ? Mystère…

Mais le Varzesh-e Pahlavani est plus qu’un simple sport, les qualités morales sont mises en avant, et la foi est requise : en fin d’entrainement, tous se tournent alors en direction de la Mecque et entonnent debout une prière à l’attention d’Ali (non, pas notre guide retraité, mais le prophète !).

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Jésus ?! Non, Hussein, fils d’Ali, au fronton du Zurkhaneh, avec son mausolée de Kerbala en Irak ! On s’y méprendrait…

Et là, une minute d’éclairage religieux s’impose, car il faut bien connaître les descendants de Mahomet pour comprendre l’état du monde aujourd’hui, et la géopolitique complexe des conflits, et voilà à peu près ce que nous avons retenu :

  • L’islam possède, de manière très grossière, deux courants majoritaires : les chiites et les sunnites, en opposition farouche partout dans le monde musulman ;
  • La scission de ces deux courants remonte à la mort du prophète Mahomet en 632, lorsque la question se pose sur son successeur pour diriger la communauté des croyants (source Le Monde 2014) :

          – les futurs chiites (littéralement « les partisans d’Ali ») désignent Ali,  gendre et fils spirituel de Mahomet, au nom des liens du sang ;

          – les futurs sunnites désignent Abou Bakr, compagnon de toujours de Mahomet, au nom du retour aux traditions tribales.

  • A l’époque, une majorité de musulmans soutient Abou Bakr, qui est élu premier calife (= successeur), et depuis les sunnites ont toujours été majoritaires (85% des musulmans dans le monde) ;
  • Mais en 656 Ali revient sur le devant de la scène en étant élu 4ème calife.  Le problème c’est qu’il est assassiné en 661 par les futurs sunnites, les choses vont se gâter…
  • Son fils Hossein entre en guerre contre les sunnites, mais se fait assassiner avec toute sa famille en 680 (en ayant d’abord été assoiffé, c’est pour cela que toutes les mosquées possèdent des bassins et cuves d’eau, en Iran) : le culte des martyrs apparaît alors dans la tradition chiite.
  • Depuis, sunnites et chiites s’opposent sur des questions plus fondamentales d’organisation interne relatives à leur clergé ;
  • Les chiites sont revenus sur le devant de la scène en 1979 lors de la révolution islamique iranienne : le chiisme devenait alors un des vecteurs privilégié du nationalisme iranien, les révolutionnaires puisant aux sources de ce courant religieux basé sur la révolte et l’identité.

Bref, tout ça pour dire, qu’à la zurkhaneh, ce soir-là, la prière s’élevait à Ali… comme nous l’expliqua Ali, notre guide improvisé… Mais pour nous, le portrait de son fils, Hussein, au fronton de la zurkhaneh, faisait bizarrement écho à la représentation de Jésus… comme quoi.

Ali nous ayant séduit par toutes ses connaissances, nous prenons rendez-vous avec lui dès le lendemain, afin qu’il nous conduise avec sa voiture aux pieds des monts Zagros, à Sisakht, point de départ de notre traversée à ski du Déna.

En attendant Ali, le lendemain matin, nous partons à la découverte des bazars et superbes ponts qui enjambent la Zayandeh Rud, traversant Isphahan. Cette rivière est contrôlée par des barrages à l’amont, qui régulent la distribution d’eau entre les différentes communes du bassin versant. Mais depuis quelques années, le débit prélevé est tel, en raison des sécheresses, que la rivière est rarement en eau dans Isphahan…

2 réflexions sur “[Ski en Iran] #1 – Bienvenue au pays des mollahs

  1. Salut les amis cyclo-voyageurs ! En effet, on aurait bien aimé partager cette virée à ski avec vous, mais cette année les dates ne collaient pas. Ce n’est que partie remise ! Profitez bien des belles pentes suisses.
    Bises à vous 2.

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