VTT à la menthe chez les berbères

Octobre 2004

En octobre 2004, nous sommes partis faire une traversée nord-sud en vélo du Haut-Atlas, au Maroc.

Maman d’un bébé de 8 mois, resté chez sa grand-mère, Ariane cherchait des dénivelées raisonnables pour cette itinérance.  Même si la zone que nous voulions traverser était relativement parcourue par les trekkeurs, nous ne savions pas vraiment si le tracé envisagé serait adapté au vélo tout terrain. Tant pis nous improviserons !

Nous avons décidé de partir en ne fixant que les villes de départ et d’arrivée. Le tracé devant être imaginé – jour après jour- au gré des rencontres. Embarquement pour une semaine d’aventure …

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Le Maroc méditerranéen

Nous sommes inquiets lorsque nous descendons de l’avion à l’aéroport de Marrakech.

Quelques minutes auparavant nous avons aperçu nos bagages être sortis manu militari des soutes de la carlingue. Les cadres des vélos ont l’air d’avoir effectué le voyage avec nous ; par contre les roues – conditionnées séparément dans un carton – ne semblent pas toute être présentes. Inquiétudes  … Finalement tous nos colis sont bien réceptionnés et apparemment en bon état.

Volontairement nous décidons de shunter la frénésie urbaine de Marrakech et son million d’habitants pour rejoindre Demnate, notre ville de départ. Pour cela, direction la bouillonnante gare routière. Ici on prend conscience du rôle des emplois indirects. Pour un employé officiel, il doit y avoir 4 ou 5 personnes qui travaillent autour – soit pour brosser les chaussures, soit pour monter les colis sur le toit du bus.

C’est également ici que commencent les premiers marchandages pour que nos vélos ne nous triplent pas le prix du trajet ! Les deux heures de trajet sont ponctués par les fréquentes tapes des mains indiquant le souhait d’un passager de descendre du véhicule. Nous cheminons à travers un paysage relativement monotone et aride où tout olivier fait figure de petite montagne. Après quelques heures de routes, nous voilà débarqué – avec nos affaires et nos vélos en kit – à la gare routière de la grosse bourgade de Demnate, départ de notre périple trans-atlasien. Après un long remontage des vélos et la réparation de quelques petits soucis mécaniques, nous effectuons nos premiers tours de pédale dans le royaume chérifien. Il est déjà tard, le soleil est bas sur l’horizon et nous ne tardons pas à entendre le muezzin. L’appel à la prière revêt un caractère particulier en cette période de ramadan car il est également synonyme de repas – souvent festif – après la journée de jeun. En quelques minutes, la ville devient déserte et calme.

Après 7 km de montée, nous déposons nos bagages et montons notre tente sur un petit carré d’herbe aux abords du site remarquable d’Imi’n Ifri. Juste le temps – avant la pénombre complète – d’apercevoir la voûte ornée de stalactites de ce magnifique pont naturel.

Pendant que nous engloutissons un bon repas réparateur, nous sommes abordés par le propriétaire des lieux. Nous discutons un bon moment avec ce militaire à la retraite qui était l’équivalent d’un chasseur alpin dans l’armée marocaine. Nous nous surprenons à lui parler des nouveaux skis paraboliques alors que lui ne jure que des virages christina et du stemp, technique moderne … dans les années 60 !

Après une nuit bien calme passée à écouter le clapotis de l’eau au pied des gorges, nous ré-enfourchons nos engins sous les gazouillis des oiseaux qui nichent dans ce havre de fraîcheur. La pente aidant, après quelques tours de roues, la rudesse du soleil marocain commence à se faire sentir. On ne peut pas dire qu’il fasse très chaud à 10 h du matin mais le soleil tape fort à tel point que l’on recherche l’ombre des arbres avant de se s’arrêter pour se désaltérer. Ambiance méditerranéenne dans l’ascension du premier véritable tizi.

Les oliviers laissent petit à petit leur place à des pins. Les traversées de hameaux s’enchaînent et il est rare d’être seul dans ce paysage semi-désertique. Les enfants sont là, toujours prêts à demander un stylo ou un fani, ce fameux bonbon berbère. Passé ce réflexe de quémandage – qui est  plus une distraction qu’une fin en soi – les enfants restent perplexes en nous regardant pédaler. Nous essayons d’imaginer ce qu’ils peuvent bien penser… « Pourquoi viennent-ils ici en vélo ? – C’est quand même plus plat, en bas dans la plaine. Pourquoi sont-ils chargés, ils déplacent leur maison ? »

La route continue et nous traversons de nombreux gués à sec où l’on aperçoit les stigmates des crues dévastatrices. C’est paradoxalement dans ces milieux semi-arides que les crues soient les plus violentes, non pas que les pluies soient extrêmement intenses, mais plus du fait de la quasi- absence du couvert végétale : les gouttes qui tombent ruissellent et rejoignent très rapidement l’exutoire du bassin versant.

Nous voilà à Tifni, au bord de l’assif Ghasf. Petite pause à l’ombre de quelques aiguilles d’acacias ! C’est ici que commence la grande montée du col à 2150 m d’altitude. Après un petit repas – bien appréciable en ces temps de ramadan – nous reprenons nos vélos à la recherche d’une plate-forme pour planter notre tente. Les kilomètres défilent et les petits villages s’enchaînent. Dormir dans un lieu sauvage, ce n’est pas pour ce soir ! Tant pis ou plutôt temps mieux nous planterons notre tente sur une terrasse en terre battue, en plein milieu d’un village.

Au petit matin, les doux rayons du soleil viennent nous réveiller et nous indiquer qu’il est temps de reprendre nos montures avant que l’astre devienne crématoire. Arrivés au tizi, au milieu de nulle part, le température fraichie, et c’est  le royaume du vent et du froid. Nous basculons dans une descente au milieu des genévriers de l’Atlas au port si caractéristique. Cette route n’est pas très parcourue et nous croisons, tout au plus, 1 ou 2 camions par heure. Ces fameux Bedford rouge n’ont probablement pas passé leur dernier  contrôle technique et pour nous encourager ils n’hésitent pas à nous saluer avec leur gaz d’échappement à chaque dépassement !

Poor lonesome bikers, version marocaine pourrait s’appeler cette belle descente vers Ait Tamlil avec en prime de belles vues sur les neiges fraîchement tombées sur le Djebel Rhat (3700 m). La route côtoie maintenant la rivière Tassawt qui servira de fil conducteur pour nos deux prochaines journées de traversée. Le bitume nous mène, après quelques coups de pédales, à Toufghine où – d’après nos dernières informations – le goudron s’arrête.

Le Maroc montagnard

Mohamed installe nos deux vélos sur sa mule. Malgré son expérience de muletier, les gestes sont hésitants et il doit s’y reprendre à plusieurs fois pour bâter correctement son animal. En effet, c’est la première fois qu’il installe ce type de bagages sur son animal ! Nous nous donnons rendez-vous dans la soirée à Aït Ali’n Ito, prochain village en remontant la vallée. Dépourvus pour une journée de nos vélos nous en profitons pour prendre un chemin de traverse et aller découvrir des villages éloignés.

Le chemin serpente au milieu de gorges encaissées où s’écoule un mince filet d’eau. Dès que l’encaissement disparaît, l’espace est exploité par les paysans pour cultiver. Les femmes sont là, exploitant le maïs sur des terrasses dominant la petite rivière. Les villages de paysans du bas de la vallée laissent place, petit à petit, aux bergeries d’altitude munies de remarquables aires de battage circulaires. En altitude, les paysages sont sauvages et seul un berger et son troupeau brisent le silence des hauteurs. Le panorama s’ouvre à nous et seuls les géants de l’Atlas limitent la visibilité. Le Djebel Anghomer (3600 m) nous nargue avec sa belle face Nord, idéalement taillée pour le ski. Promis nous reviendrons avec nos peaux de phoque pour faire du mulet-ski sur tes pentes !

Nous basculons de l’autre côté du col. Ici, une multitude de criquets pèlerins s’est rassemblée avant de débuter leur pèlerinage vers les pays sahéliens. Lors de la descente, la vision plongeante sur le village de Magdaz est déroutante. La richesse architecturale de ce village aux nombreux igherms contraste avec le sentiment de sauvagerie du monde minéral d’altitude.

Rendez-vous réussi avec notre muletier. Nous remontons nos vélos démontés la veille pour le transport à dos de mules ! Après une nuit réparatrice, nous enfourchons nos montures pour une grosse journée de pédalage qui doit nous mener tout en haut de la Tassawt.

Dur, dur de rouler dans le lit de la rivière ! Certains passages ne sont pas très roulants et nous sommes contraints à traverser de nombreuses fois la rivière. Pédalo ou VTT, quelques fois la limite n’est pas évidente, heureusement que nous ne sommes pas au printemps, au plus fort de la fonte des neiges !

 

Les villages traversés montrent une relative prospérité tirée notamment, de l’irrigation gravitaire à partir de la rivière Tassawt. Les quelques semaines précédant le rude hiver sont mises à profit pour récolter les dernières céréales

A Ichbakan, nous apercevons pour la dernière fois le maïs sécher sur les toits des maisons. Plus haut dans la vallée, les conditions climatiques ne permettent plus de le cultiver. C’est également à partir d’ici que la piste n’est plus carrossable, même pour les fameux Bedford rouges.

Les enfants sont surpris de voir des bicyclettes en ces lieux. D’après notre muletier, il n’y a pas vraiment de vélos dans le coin. Nous faisons l’attraction dans le village et rapidement les vélos deviennent prétextes à de nouveaux jeux. Tout les enfants veulent les essayer.

Nous quittons ce village typique de haute montagne perchée sur son bastion rocheux. Pour peu on se croirait dans une vallée reculée du Zanskar ; le monastère bouddhiste est au village himalayen ce que l’igherm est au village berbère ! La similitude ne s’arrête pas là et ici l’ambiance générale est très proche de celle rencontrée à l’autre bout du monde dans un contexte climatique et d’isolement somme toute assez comparable.

Plus haut dans la Tassawt, on retrouve la ‘civilisation’ après le passage sauvage du défilé où la piste défoncée à laisser place au sentier muletier. Ces fonds de vallées accueillent quelques petits villages qui tirent leur relative prospérité de la rivière, véritable mère nourricière pour les habitants des lieux. Arrivée à Amezri. Prononcez Am‘zri pour être compris des berbères ! Le paysage dépasse tout ce que nous avons vu jusqu’à maintenant.

Les couleurs s’enflamment. Les arbustes prennent leurs plus beaux costumes d’automne pour faire pâlir de jalousie les argiles d’un rouge éclatant. Tout cela se passe dans un décor de hautes montagnes avec en toile de fond le seigneur du coin, le M’goun (4060 m).

Nous plantons la tente dans un champ de patates entouré de noyers et de pommiers. Cette profusion de fruits à haute altitude nous permet de faire le plein d’énergie avant notre ascension du lendemain. Au programme un tizi à plus de 2800 m d’altitude.

Nous basculons ensuite vers le Sud et son ambiance pré-saharienne. Nous ressentons un réel isolement à plusieurs jours de marche du goudron et pourtant à moins de 50 km à vol d’oiseau du balai incessant des cars de touristes qui passent le tizi’n Ticka pour aller ‘voir’ les 3 pauvres dunes situées à côté de Zagora. Je me prends à l’intérêt du voyage et de ce que l’on appelle – souvent pompeusement – l’aventure. Le voyage devient une aventure à partir du moment où tout n’est plus tracé et quand chaque jour apporte son lot de surprises et d’obstacles auxquels il faut trouver des solutions. Cette recherche de solutions donne une dimension supplémentaire et fait passer un banal voyage ‘carte postale’ en une véritable aventure riche en rencontres.

Le voyageur est un chercheur. Il n’est pas certain de trouver ce qu’il cherche. Là, n’est pas l’essentiel. Ce qui l’importe, c’est la manière dont il va essayer de réussir ce qu’il va entreprendre.

 

5 réflexions sur “VTT à la menthe chez les berbères

    • Bonjour Victor, malheureusement nous n’avons pas de trace GPS, à l’époque nous n’avions que des cartes papier, et l’itinéraire était assez évident : il longeait la vallée de la Tessaout du nord au sud. Pas de grosses difficultés d’orientation donc. A vérifier, mais cet itinéraire a été goudronné depuis en partie. Bonne préparation en tout cas.

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