[Ski en Iran] #2 – Transfert vers le Déna

20/02/2017

Pour cette série d’articles, afin que chacun de nous deux puisse retranscrire au mieux ses impressions face à ce pays hors normes, nous utiliserons les codes couleur suivants en fonction des narrateurs : Ariane en noir (couleur du hijab), Seb en bleu (couleur des mosquées) ! Place à l’initiateur de ce raid à ski (Seb) , puis à quelques anecdotes pour cette seule journée de transit(Ariane) !

Aujourd’hui, Ali nous a fixé un rendez-vous un peu plus tôt que ce que nous envisagions : il souhaite que nous partions vers 11h du matin, car la route est longue, et il redoute la neige au col que nous franchirons peu avant Semirom.

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Chargement des skis sur le toit de la voiture d’Ali, à Isphahan

En effet, il a beaucoup neigé ces derniers jours, et hier soir Rémi en a eu la confirmation auprès de deux de ses amis qui rentrent d’une semaine de ski, vers Chelguerd, avec un guide. Les conditions ont été difficiles, avec un fort risque d’avalanches. Mais je reste confiant, et remotive les troupes : le massif du Déna que nous envisageons de traverser est situé bien plus au sud (~ 250 km) que le massif du Zard Kuh (« montagne jaune »). Le Zard Kuh est relativement fréquenté par les skieurs occidentaux, à partir de Chelguerd et des villages environnants, notamment depuis une exploration du massif en 2004 par des italiens, et les sorties plus récentes du guide-défricheur Jean Annequin.

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Dernier petit col (2450 m) après Semirom, avant de contourner le massif du Déna pour rejoindre Sisakht, avec en toile de fond, le massif du Déna

Depuis Noël, je scrute les chutes de neige (notamment grâce à de nouvelles données satellites) pour enregistrer à distance l’historique du manteau neigeux, ce qui pourrait nous être utile en cas de doute sur la stabilité de la neige. Cette année, jusqu’à fin janvier l’enneigement a été très déficitaire dans le massif du Déna, mais il semble que les 2 semaines avant notre arrivée aient permis de reconstituer un manteau neigeux propice au ski, grâce à plusieurs perturbations venant du sud (du golfe persique) qui ont apporté, à chaque fois, 20 à 30 cm de neige supplémentaire (souvent ventée, et avec une limite pluie-neige entre 2200 et 2500 m d’altitude).

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La chaîne de montagnes des Zagros, s’étend sur près de 1800 km de long (1,5 fois la longueur des Alpes) entre la frontière turque et le détroit d’Ormuz. Dans la partie centrale des Zagros, plusieurs massifs se prêtent particulièrement bien au ski de rando, notamment grâce l’enneigement généralement abondant et à la présence de quelques abris: (1) celui de l’Oshtoran (4050 m) au nord-ouest d’Ispahan, (2) celui du Zard  (4190 m) à l’ouest d’Ispahan, et enfin (3) celui du Déna (4410 m), entre Ispahan et Chiraz. 

Il y a une dizaine d’années, lorsque j’avais commencé à m’intéresser à ce massif du Déna, je n’avais pas trouvé de réelles descriptions de parcours à ski de rando, si ce n’est celle de Sheridan, un explorateur anglais (Alpine Journal, 1978) ayant parcouru le pied du massif en ski nordique, à la fin des années 1970.  Depuis, en 2014, Thomas G. a réalisé la descente d’un couloir d’ampleur au dessus de Sisakht. Enfin, en 2015, Luca Pandolfi, un snowboarder professionnel transalpin a descendu 2 jolis couloirs au dessus de l’abri de Khafr, avec un de ses compères.

Compte tenu des très fortes dénivelées depuis les villages (situés vers 2200 m d’altitude) et l’échine du massif (généralement à plus de 4200 m), l’idée imaginée était de suivre une « haute route » en essayant de rester un maximum de temps en altitude et de se ravitailler dans les villages tous les 2 à 3 jours. Seuls 2 abris, utilisés le plus souvent été, sont présents sur le parcours et nécessitent donc de prendre une tente pour compléter les bivouacs. Néanmoins, cette idée directrice doit être confrontée avec la qualité de la neige sur place, et même si nous partons dans l’idée de faire une traversée, nous gardons en tête qu’il faudra ajuster sur place notre itinéraire, et faire des sorties « en étoile », si nous ne sommes pas en confiance, car nous ne sommes que 3.

Dès la sortie d’Isphahan, le paysage devient désertique, puis tout au fond à l’horizon apparaissent rapidement les premières neiges du Zagros. D’abord par saupoudrages timides, puis à mesure que nous nous élevons au col (2600 m) avant Semirom, le massif se dévoile immaculé.

La ville de Semirom constitue notre étape du midi, avec au menu brochettes et riz. Sans photos des mets proposés, il nous serait très difficile de décrypter le menu affiché en farsi au mur, sans faire « plouf-plouf-ce-sera-toi » pour choisir notre plat, mais aujourd’hui c’est Ali qui passe commande pour nous !

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Alors.. au menu… ????….

Puis nous nous arrêtons au village de Qareh, afin de faire le plein d’essence et remplir le réservoir de notre réchaud pour les prochains jours.

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Ali chante, ou bien déclame des poèmes, dès qu’il en a l’occasion, en voiture, au restaurant, dans la rue. Il chante en français, évoquant Paris, ou encore en farsi, des chants des nomades bakhtiaris, qui ne laissent pas insensibles les habitants de cette bourgade, issus de la même tribu :

Ali

Puis nous passons enfin le collet (2350 m) permettant d’atteindre Sisakht, par le haut.

Ali s’occupe du choix de notre logement du soir, et après plusieurs questions à des passants, nous atterrissons dans ce qui semble être un hôtel-type de bon standing en Iran : il s’agit de sortes d’appart’ hôtels, dénommés « suite », avec plusieurs chambres et possédant toujours une cuisine complète. Ali nous avoue adorer la télé et les informations, qu’il ne manque jamais. Il nous le prouvera toute la nuit, en souhaitant s’installer dans la salon pour dormir, alors qu’un lit est prévu pour lui, avec la télé allumée en continue !! Au petit matin, on se demande comment il fait pour tenir debout et avoir toute cette énergie… 

Mais ce soir, pas envie de cuisiner dans notre hôtel, nous partons en ville chercher un snack/restaurant. Mission quasi impossible ici. Tout est fermé, nous sommes en dehors de la saison touristique, et Ali nous confie que ce n’est pas vraiment dans l’habitude des iraniens de manger à l’extérieur, si ce n’est lors des traditionnels pique-niques. D’après lui, la nourriture est chère et de mauvaise qualité dans les restaurants, alors les gens préfèrent cuisiner chez eux. Mais nous, on a faim, et cette petite introduction peu reluisante n’entame pas notre appétit ! Nous finissons par en trouver un, ouvert, après avoir fait deux fois le tour de la ville !

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Alors que nous mangeons, seuls dans le resto, 3 policiers entrent subitement , puis discutent avec le serveur, en nous jetant des coups d’œil. Nous n’en faisons pas vraiment cas. Mais au bout de quelques minutes, c’est le visage d’Ali qui nous laisse perplexe. Celui-ci s’est arrêté de manger et suit la conversation, très concentré.

–    Ca va Ali ? Il y a un problème ?

–    Ils sont venus pour vous. Ils attendent que vous ayez terminé de manger pour peut-être vous poser quelques questions. C’est surement quelqu’un en ville qui les a prévenus.

Comme nous n’avons rien à nous reprocher, nous ne sommes pas vraiment inquiets et continuons sereinement notre repas. Mais la réaction d’Ali nous interpelle en nous dévoilant à dose homéopathique une des réalités de la vie des iraniens, lorsque s’effrite le vernis lié à notre confort touristique :  une réalité basée notamment sur des rapports parfois particuliers avec la police, entre prudence et méfiance, un état d’alerte presque inscrit dans les gènes, quelque chose de diffus que nous ne pouvons pas ressentir. Enfin, au bout de vingt minutes, les policiers repartent comme ils sont venus, nous jetant un dernier regard, sans aucune question. Ali nous dira ensuite que c’est parce qu’il leur a parlé que nous n’avons pas été questionnés, et que son accent prononcé d’Isphahan montrait que nous étions bien en voyage touristique… Allez savoir…

Nous quittons dès le lendemain le confort des villes et villages pour la haute montagne… ou pas !!

 

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